octobre 2021
Denis Diderot dans son Essai sur la peinture, au chapitre « Mes petites idées sur la couleur » rappelle que chaque passion a une couleur. Quant à la passion qui se porte sur les couleurs même, il reste muet. Si toujours, il met la couleur au-dessus du dessin, il entend que son usage, par combinaisons et mélanges, sert à restituer l’émotion du réel. Diderot chante ce qui, du rouge au rose, exprime la candeur sur les joues des petites filles de Jean-Baptiste Greuze. Quant à Chardin, il l’estime parce qu’il met à l’honneur et réveille l’ensemble du spectre lumineux en regardant les choses les plus humbles.
Mais qu’en est-il de la passion des couleurs ? De la passion entendue comme un rapport charnel avec elles. Osons être amoureux, pour évoquer à la faveur de l’exposition que donne à l’0rangerie de Verrière le Buisson, le travail de Rui Prazeres. Ce qui la caractéristique aujourd’hui : la couleur, mais l’artiste interpelle et nous étonne quand il affirme: «je veux voir sans voir ». Voir, mais sans les yeux ? Énigme, car alors, comment et d’où percevoir ?
Voilà que nous avons omis d’évoquer sa peinture. Elle poursuit des formes d’ailes ou de météorite dans des ciels pneumatiques ou de terre. Formes inscrites d’un geste qui cherche l’allusion avec maîtrise. Mais aussi à l’inverse quand par un acte minimal, il colle à même la toile des pierres trouvées pas loin de l’atelier. Ces événements graphiques ou factuels se tiennent sur des aplats de pigments purs posés si généreusement qu’ils tachent les doigts du gourmand qui se risque à les caresser. Ces aplats oblitèrent le regard, le captivent, le capturent. Et oui, même les yeux fermés, les bleus et les bruns de Rui Prazeres traversent les paupières sous un effet inédit de rémanence. Peut-on parler de monochromes ? Pourquoi pas, mais à condition qu’ils vibrent et tumultent le regard. Car, en peinture dire monochrome revient à faire mentir le sens de ce mot, tant qu’après qu’on eusses fermer les yeux, la chose au-devant de nous, continue à agir en nous. C’est alors que naît en nous cette qualité contemplatrice qui nous abstrait des lieux reconnus de la conscience en faisant aventure avec les sensations de tout notre corps. Soumis à cette commotion, nous comprenons le travail singulier de Rui : donner à la matière-couleurs de ses poudres et pigments une vigueur qui réveille. Chromothérapie sans programme où par le plaisir ressenti, on devine le chemin d’épreuves qu’à dû parcourir le peintre, se dénudant de la forme pour parvenir «là-bas, là-bas » si bien évoqué par Baudelaire, et peut être au-delà.
Théodore Blaise
“Saison de culture“, octobre 2021