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 Aux secrets de l'univers

Des parcelles de l'univers infime, immense, infini, s'ouvrent soudain à nos yeux comme autant d'abîmes sous nos pieds.

Certes, on a scrupule à user de mots face à telle quête picturale, tel art du silence qui transgresse tout idiome connu, qui va à l'avant du monde, très au-delà des brumes de nos tours de Babel.

Face aux toiles de Rui Prazeres, nos aberrations optiques habituelles nous feraient croire, dans leur premier coup d’œil, que nous nous trouvons en dehors de notre monde apparent, immédiat, familier - dans un autre monde, sur quelque exoplanète.

Pourtant, si l'on insiste, et que l'on prête une attention un tant soit peu durable à ses toiles, on « voit » que ce que l'on a cru hors de notre monde, est notre monde même, capté dans les turbulences et les sédimentations de la matière.

L’œuvre picturale de Rui Prazeres apparaît comme une sorte de puzzle hyperbolique, une cartographie parcellaire de l'univers soudain suspendu dans la vitesse de son expansion infinie.

Sous l'embrouillement de ce que nous appelons hasard, Rui Prazeres semble inventer un langage nouveau, un alphabet de notre nuit. Mais, inventer, n'est-ce pas se souvenir ? N'est-ce pas revivre l'origine du monde, là où se dénoue le lisible, là où bâillent les filets de nos sauvetages mentaux ?


Rui Prazeres peint comme un chercheur scrute au fond d'un microscope ou bien observe à travers la lunette d'un monstrueux télescope. À cette échelle double, l'infiniment petit et l'infiniment grand se rejoignent. Laser infrarouge, l’œil du peintre laisse aller ses coulures entre les deux espaces infinis qui ne forment qu'un immense fleuve, celui de l'univers et son « universelle analogie ». Son pinceau suit le chemin de son flot innommable, où se perdent tous les chemins tracés. Entre-temps, l'énigme de ses entrevisions aura marqué à jamais son fond d’œil : poussière d'un prodigieux désastre, explosion des particules de sens, blanches cartouches de hiéroglyphes.

Comment,  au-delà de nos illusions optiques et mentales, représenter ces magmas galactiques et cellulaires ? Comment trouver au-delà de nos élaborations, de nos sophistications, de nos concepts, l'infini, immense, étale fleuve du cosmos ? Comment entrer dans sa coquille brisée où l’œil ne sait pas pénétrer ? Quels paysages, quelles terres, quels ciels, quelles mers autour de ce géant trou noir ?  Quels pigments ? Quels rythmes ? Quelles formes ?


Rui Prazeres peint à même le sol. L'acrylique rapide s'étale comme elle peut (ou veut). Son œil procède d'un immense zoom arrière qui s'éloigne vers l'avant du monde et se rapproche du big-bang éternel. La lave des couleurs coule depuis les flancs de son immense volcan d'énergie noire.

Sur ses toiles, le peintre fige des moments de cette chimie première qui draine notre ADN aussi bien que l'apparent chaos de l'univers : signes disséminés, hiéroglyphes, bribes, paramécies, bulles ou gamètes d'une outre-langue, inconnue dans l'énigme brouillée. Le peintre décrypte l'imagerie cellulaire du multiple et de l'Un dans son parchemin errant ; il scrute le palimpseste opaque de son agencement chimique que notre intelligence humaine prend pour du chaos.


Alliant la science à la fiction, ses visions corrigent la myopie de la perception conceptuelle et la presbytie de nos manies optiques. Joignant la prescience cellulaire à la science la plus avancée, le créateur-chercheur transcende nos connaissances toujours précaires ou provisoires. Dans son égarement augural, le visionnaire dissout le visible et coagule l'invisible.  Il fait remonter de ses veines, à travers son pinceau, les premières vibrations de la matière, ses premiers accords, ses premières fragmentations, ses premiers rythmes, à leur échelle moléculaire et cosmogonique.

Les tableaux de Rui Prazeres accueillent, comme des fenêtres ouvertes dans l'espace, le sens cosmique profond, vertical, silencieux de l'univers sous les traits de pluie noire qui raturent nos vitres.

Rui Prazeres sait que le « sans titre » de l'infiniment petit et de l'infiniment grand est le seul nom de l'absolu. Dans la désagrégation de nos certitudes visuelles et conceptuelles, sous les coulures de la pierre philosophale qui saigne, l'artiste nous replonge dans la boue glauque, dans l'eau lourde et verte dont se nourrit la chlorophylle des plantes, dans le bleu de Prusse, royal, égéen des ciels où écument des mers inconnues. Il immobilise un instant la chute d'une météorite. Il réchauffe son effroi sidéral dans l'ocre chaude et douce d'un pan de terre. Il célèbre la rugueuse gravité de la pierre. Il exalte la blancheur absolue d'une coquille d’œuf.  

Dans sa « méta »-peinture, Rui Prazeres use de son œil et de son pinceau comme d'un microscope et d'un télescope. Il corrige ainsi nos illusions optiques. Il rend  des hommages cellulaires à l'univers. Il décèle des cellules, littéralement de « petites chambres secrètes», dans l'immense puzzle éclaté de l'Un. Peintre « voyant », il fait apparaître ses « vues générales » de paramécies où tout un paysage d'étoiles tourne en autant de chars solaires, où pleuvent des météorites dans des ciels ultra-violets. Peintre cosmique et miniaturiste, il expose la fragilité de notre univers dans la moindre coquille brisée.

Rui Prazeres est un explorateur de la matière noire première et lumineuse, un  aventurier du magma pigmenté, un visionnaire de l'alpha et de l'oméga de la genèse apocalyptique, un décrypteur des premiers mots, de l'incipit de la Création.

Je ne sais plus quel poète aimait à dire que tout créateur est « un plagiaire de Dieu ». Rui Prazeres, artiste de l'imagerie acrylique, de la connaissance silencieuse, de la connivence cellulaire et de l'imagination cosmique, est l'un d'entre eux, un élève du mystérieux Grand Artiste de la Création.

Dans les métamorphoses de ses toiles, apparaît l'arbre de l'univers, de la racine à la cime (comme par exemple dans le triptyque emblématique en « hommage » au cinéaste « Andreï Tarkovski » ). Ou bien la forme spectrale d'un « calamar ». Les momifications du « sans titre » innommable et multiple. Ou dans la plus microscopique des cellules, toute une galaxie. Comme si nous étions ramenés soudain au plus petit et au plus grand, au plus bas et au plus haut secret de l'univers.

Yves Leclair (2023)

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